CAUCASE

CAUCASE
CAUCASE

Lieu de rencontre et trait d’union entre l’Orient et l’Occident, le Caucase (en russe, Kavkaz) était auréolé d’un grand prestige aux yeux des Anciens, qui le considéraient comme la patrie de Prométhée. C’est vers la Colchide que les Argonautes devaient partir à la recherche de la Toison d’or; c’est en Arménie, sur le mont Ararat, que se serait échouée l’arche de Noé.

Le Caucase et les régions transcaucasiennes appartiennent au domaine alpin, caractérisé ici par la surrection de très hautes chaînes, l’effondrement de profonds bassins, des montées volcaniques de grande puissance. La chaîne du Caucase proprement dite s’oppose, par sa relative simplicité, aux chaînes, plateaux et vallées de Transcaucasie, plus complexes.

Rendu célèbre par les récits d’explorations, les souvenirs littéraires, les légendes qui lui sont attachées, le Caucase est l’une des chaînes les plus élevées, les moins franchissables, les plus mystérieuses de l’ex-Union soviétique, une barre culminant à plus de 5 600 m, s’étirant de la mer Noire à la Caspienne sur plus de 1 200 km; il domine, au nord, le pays des steppes sauvages du Kouban et de Nogaïsk et, au sud, les dépressions fertiles du Rion et de la Koura; c’est un monde de sommets longtemps inviolés, de plateaux pelés, de hautes vallées isolées.

Découpé en régions simplement définies par la nature du relief et l’appartenance ethnique, le Caucase a été longtemps un foyer d’endémismes et le refuge de sociétés archaïques et belliqueuses. Mais il a aujourd’hui un rôle original et un avenir économique dans l’Union: la montagne fournit ses populations, ses eaux, ses minerais pour la mise en valeur de l’avant-pays.

L’histoire du Caucase explique l’hétérogénéité de sa population actuelle. Autochtones réfugiés dans la montagne, envahisseurs de toutes origines, tour à tour fixés dans le pays et refoulés par les vagues suivantes, fugitifs échappés à de plus lointaines convulsions politiques ont constitué cette toile bigarrée de races et de langues: le seul Daghestan avec ses trente langues en est un bon exemple. Diversité mais non disparité culturelle: dans le cadre géographique du Caucase, surtout dans les montagnes du Nord, s’est formée une civilisation bien spécifique.

1. La géologie du Caucase

Du point de vue géologique, le Caucase représente un chaînon externe de l’édifice alpin de l’Eurasie. Découpé par de profonds accidents longitudinaux, il se compose du Grand Caucase (Bolchoï Kavkaz), trait dominant, rectiligne, long de 1 300 km et large de 150 à 200 km, d’une zone intermédiaire de Transcaucasie du Nord et, au-delà, du Petit Caucase (Malyï Kavkaz), plus court et plus complexe que le Grand Caucase. Cet ensemble, dont la largeur totale atteint 400 km, est buté au nord par la plate-forme précambrienne russe et par la plate-forme épihercynienne du Précaucase. Cette dernière, formée d’un substratum d’âge dévonien à permien inférieur, plissé, faiblement métamorphique, et d’une couverture mésozoïque et cénozoïque tranquille, dessinant des plis de fond, s’enfonce par gradins vers le sud, à l’approche du Grand Caucase, sous les avant-fosses du Kouban occidental et oriental et du Terek (Caspienne moyenne). La zone de Laba-Malka est une partie de la plate-forme épihercynienne entraînée par le secteur central, le plus élevé du Grand Caucase, pendant la phase finale de son ascension. Elle est séparée du Grand Caucase par la cicatrice de Tyrnyaouz-Pchekich (cf. carte structurale).

Le Grand Caucase

Il est marqué par une zone axiale d’un relief très vigoureux, se profilant entre 3 500 m et 4 500 m, rectiligne sur 1 300 km et cependant divisée par de grands accidents transversaux.

Le secteur central , le plus exhaussé, délimité par des failles de «direction caucasienne», est-ouest et nord-ouest - sud-est, est composé de schistes cristallins et de gneiss du Paléozoïque inférieur et peut-être du Précambrien supérieur, et des parties inférieures du Paléozoïque moyen, granitisés par des intrusions d’âge carbonifère. La structure, fortement dissymétrique, manifeste une tendance au chevauchement vers le sud, allant jusqu’au charriage sur 15 km de la «nappe de Chtavler». Tandis que le flanc nord (zone de Laba-Malka) plonge monoclinalement vers le nord, le flanc sud a été comprimé en plis, souvent isoclinaux, déversés vers le sud, constitués de roches terrigènes et carbonatées, épimétamorphiques, du Paléozoïque moyen et supérieur, et par des formations gréso-schisteuses puissantes du Trias (?) et du Lias, surmontées de flysch jurassique supérieur, crétacé et paléogène inférieur. La «zone plissée d’Abkhasie-Ratcha» assure la transition avec le massif intermédiaire de Transcaucasie.

Le secteur nord-occidental est séparé du secteur central par des fractures profondes et des flexures nord-nord-ouest - sud-sud-est, le long desquelles le soubassement paléozoïque descend à une profondeur considérable. La zone axiale est formée de Lias et de Dogger, les flancs de Malm (faciès flysch dominant) avec une structure en éventail.

Le secteur oriental , à l’est de la route militaire de Géorgie, également bas, est constitué, dans sa partie axiale, par du Lias très puissant, qui forme des structures subordonnées. Le versant nord, le Daghestan, jurassique moyen et supérieur et crétacé, relativement calme, est caractérisé par des anticlinaux coffrés et des synclinaux en auge. Le versant sud, domaine d’un flysch allant du Malm au Paléogène, a été comprimé en plis à tendance isoclinale et en écailles imbriquées poussées vers le sud et s’accentuant en petites nappes.

Le secteur sud-oriental , où le Grand Caucase s’enfonce vers la mer Caspienne, est composé dans sa partie axiale de formations gréso-argileuses de l’Aalénien-Bajocien; la structure est presque en éventail.

Le Grand Caucase est nettement limité au sud par la «cicatrice de Kakhetie-Letchkhoum».

La dépression de Transcaucasie du Nord

On y distingue deux parties.

La partie occidentale , à l’ouest du méridien de Tbilissi, présente un massif central, dit «bloc de Géorgie», qui affleure dans le petit massif de Dziroula, formé de Paléozoïque inférieur métamorphique, traversé par des granites paléozoïques et antérieurs au Malm. Ce soubassement s’enfonce profondément, à l’ouest, sous la «dépression du Rioni»; dans le massif de Dziroula, il est surmonté d’un Lias-Dogger relativement épais, disloqué, puis d’une série très réduite. Vers l’ouest la dépression du Rioni s’élargit, s’approfondit et passe à la dépression de la mer Noire.

La fosse interne de la Koura est en grande partie établie sur le soubassement du massif intermédiaire de Transcaucasie. Son remplissage néogène forme des plis complexes, déjetés ou déversés vers le sud.

Le Petit Caucase

Il se distingue du Grand Caucase par l’absence de soulèvement axial, et par une disposition fort complexe, liée encore à l’existence de fractures profondes ouest-est et nord-ouest - sud-est. Les magmatismes mésozoïque et cénozoïque y ont un développement puissant, sous forme intrusive ou effusive, en particulier au Néogène et au Quaternaire: les formations volcaniques continentales correspondantes couvrent plus d’un quart de la surface du Petit Caucase. On distingue quatre zones principales.

La zone de plissements d’Adjar-Trialeti , à structure en éventail, est formée sur l’emplacement d’une dépression remplie de formations volcaniques et carbonatées allant de l’Albien au Crétacé supérieur et par du flysch pyroclastique paléocène à éocène.

La zone de Somkhet-Karabakh et Kafan correspond à une dépression alpine, jurassique et crétacée, surimposée sur une saillie du substratum ancien, analogue au bloc de Géorgie; ses dépôts sont traversés par des roches granitoïdes du Jurassique supérieur-Crétacé inférieur, ainsi que par de nombreux petits amas de gabbros et d’hyperbasites du Crétacé supérieur. La structure, complexe, résulte de la juxtaposition de plusieurs éléments tectoniques autonomes. Sa marge sud-ouest forme la «fosse de Sevan-Akera».

La zone d’Arménie , partie axiale du Petit Caucase, a un substratum métamorphique du Paléozoïque inférieur (au sud-est, du Paléozoïque moyen) et une couverture débutant par un Crétacé supérieur peu puissant, suivi d’épaisses formations flyschoïdes et pyroclastiques du Paléogène. D’immenses formations effusives continentales du Néogène et du Quaternaire forment le «plateau volcanique d’Arménie» et le «plateau d’Akhalkalakh».

La zone de l’Araxe , marge sud-ouest du Petit Caucase, n’a pas subi d’importante orogenèse hercynienne et elle est devenue à l’Oligocène et au Néogène la «fosse interne de l’Araxe moyen».

Évolution et rapports avec les régions voisines

Trois étapes principales sont distinguées dans l’histoire tectonique du Caucase:

– une étape antéhercynienne , non déchiffrée;

– une étape hercynienne , avec développement des fosses du Silurien au Carbonifère inférieur, puis plissement et formation des avant-fosses et fosses internes du Carbonifère moyen au Permien inférieur;

– une étape alpine , commençant par la transgression du Permien tardif, étape elle-même divisée en prémices: Permien tardif-Trias, stade alpin précoce (Jurassique tardif; Jurassique inférieur et moyen dans le Petit Caucase), stade alpin moyen (Crétacé et Paléogène inférieur, ainsi que Jurassique supérieur dans le Grand Caucase), stade alpin tardif (à partir de l’Oligocène).

Les glaciations du Quaternaire se sont ensuite puissamment manifestées dans le Grand Caucase, et beaucoup plus faiblement dans le Petit Caucase.

Il faut noter enfin que le Grand Caucase est étroitement lié au sud-ouest de la Crimée montagneuse. Un géosynclinal unique de Crimée-Caucase a persisté depuis le Permien jusqu’au Paléogène; et c’est au moment du soulèvement général que s’est produite la division. Pendant un certain temps, ce géosynclinal se continuait au-delà de la mer Caspienne, dans le Grand Balkhan et le Kopet-Dagh.

Le Petit Caucase se raccorde, de son côté, directement à l’Asie antérieure: la zone d’Adjar-Trialeti prolonge les Pontides, tandis que la zone centrale se raccorde avec le centre de l’Anatolie (Anatolides).

2. Les grandes régions

On traitera ici, non seulement de la chaîne caucasienne stricto sensu , mais aussi des montagnes et bassins faisant géologiquement partie du système caucasien et formant dans le cadre de l’ex-Union soviétique, avec les républiques de Géorgie, d’Arménie et d’Azerbaïdjan, un ensemble de régions bien individualisées tant par leur position périphérique et leur assimilation tardive que par la spécificité des peuples et des cultures.

La haute chaîne

L’ensemble de la chaîne couvre 450 000 km2 et s’élève à 5 629 m au mont Elbrouz. La puissance du soulèvement explique les dimensions et les altitudes. Les phases tectoniques qui se sont succédé ont différencié: un noyau de roches cristallines et de formations primaires indurées formant une longue amande centrale; des masses énormes de flysch (grès et schistes jurassiques) provenant de la démolition de premières chaînes et enrobant le noyau; des dépôts tertiaires profonds accumulés dans des fosses d’avant-pays et soulevés sous forme de chaînes d’avant-mont ainsi que des émissions volcaniques crevant le cristallin et le flysch et donnant, dans la zone axiale, les sommets culminants.

La dernière phase de soulèvement est ici très récente, puisque l’ensemble de la déformation quaternaire atteindrait verticalement 3 km, dont 400 m depuis le stade glaciaire de Riss. La tectonique contemporaine bouleverse les éléments les plus frais du relief: des coulées volcaniques recouvrent des moraines de la dernière glaciation, celle de Chvalinych (Würm); les séismes fréquents et dévastateurs entraînent des avalanches de pierres, la formation de failles, le déplacement des cours d’eau. La presqu’île d’Apchéron qui prolonge l’axe du système caucasien est formée de 250 petits anticlinaux, diapirs et volcans de boue dont l’activité reste constante et qui traversent des formations quaternaires. L’importance des sources thermales et minérales qui jalonnent les failles a fait du Caucase, dès l’époque tsariste, la région balnéaire de la Russie (le nom de Tbilissi signifie en géorgien «soufre»); Mineralnye Vody et Kislovodsk (avec la célèbre «Narsan») comptent parmi les stations du monde les plus réputées.

Cette formation très récente explique la relative rareté, en regard des autres montagnes alpines, des formes de relief glaciaire: la chaîne n’ayant pas atteint une forte altitude, au moins durant les premières phases tectoniques, les formes würmiennes seules sont relativement bien représentées par des cirques, quelques vallées en auge assez courtes et des vallums d’accumulation.

Une barrière, un refuge

La position du Caucase en fait une barrière climatique. Il oppose aux masses d’air arctique stagnant sur les steppes un barrage infranchissable: ainsi la côte sud-est de la mer Noire et la dépression de Colchide, protégées des coups de froid, connaissent un type original de climat subtropical. Les dépressions venues de l’ouest circulent librement le long du flanc sud, la montagne canalisant des vents dominants. Les zones de forte pluviosité se situent au bord de la mer Noire. La partie orientale est moins arrosée que le centre et l’ouest.

Obstacle aux communications nord-sud, la chaîne, peu découpée, difficilement pénétrable, a longtemps été isolée des pays russes. La seule route gardée militairement était la route stratégique de Vladicaucase (Ordjonikidze) à Tbilissi (Tiflis), qui reste la grande route commerciale et touristique. La civilisation géorgienne a reçu des apports de Byzance, par la mer Noire, alors que l’Azerbaïdjan a été islamisé. Le Caucase a joué le rôle d’un refuge devant les invasions qui ont balayé les steppes, ce qui explique la multiplicité des peuples qui, retirés dans les hautes vallées, ont gardé leurs langues et traditions; ces pasteurs ou agriculteurs ont exploité les ressources de la montagne. Certains ont longtemps évolué en vase clos et comptent quelques milliers de représentants seulement. Ils ont cependant subi l’influence des peuples qui ont envahi les plaines. Mais la colonisation russe a fait venir dans les régions caucasiennes plus de trois millions d’Européens en majorité slaves. Ainsi la montagne, perdant peu à peu sa fonction de refuge, s’est ouverte à une économie et à une société modernes.

Dissymétries et oppositions des paysages

Les critères de différenciation reposent sur des contrastes physiques et humains. D’abord entre les deux versants: du point de vue de la structure, les plis se resserrent au sud de la zone axiale, tandis qu’au nord ils s’étalent plus largement et que de belles cuestas précèdent la zone plissée; quant à la glaciation, elle est plus intense au nord, pourtant plus sec, mais plus froid; en ce qui concerne l’occupation humaine, la colonisation russe est plus dense dans l’avant-pays et sur les versants qu’au sud, où s’est maintenu le peuplement initial. Enfin entre l’Ouest et l’Est: des contrastes climatiques et ethniques portent par conséquent sur les paysages. Ces caractères permettent de distinguer trois Caucases.

Le Caucase occidental s’élève au-dessus de la mer Noire, se composant de plis resserrés dans le flysch. Au nord, la steppe grimpe jusqu’à 500 m. Au-dessus de cette altitude, les zones les plus arrosées situées entre 1 000 et 2 000 m ne reçoivent pas plus de 700 mm de pluie. Les formations végétales étagées au-dessus de la plaine du Kouban évoquent celles de Crimée: forêt claire composée de chênes et d’arbres fruitiers sauvages en altitude, formations à tendance xérophytique plus bas, avec genévriers, paliurus, pistachiers. Le versant méridional, plus développé, reçoit des précipitations supérieures à 1 m, inégalement réparties. Au-dessus de 2 200 m s’étend une pelouse alpine avec flore subarctique; de 1 400 à 2 200 m, l’étage subalpin reçoit plus de 1 500 mm (maximum en hiver, minimum en été), d’où prairie aux herbes très élevées; au-dessous se développe une forêt de résineux et d’essences subtropicales et méditerranéennes qui domine la Riviera et qui faisait de la Colchide un pays paradisiaque pour les Grecs qui la colonisèrent. Les pluies (plus de 2,5 m) s’abattent en automne et en hiver, les amplitudes annuelles sont faibles et les stations de la mer Noire ne connaissent que quinze jours de gel par an. Encore peu exploitée, la forêt humide des pentes comprend des espèces endémiques de chênes, de pins et de sapins, d’autres apportées d’Orient (acacias, kakis, eucalyptus, palmiers). Les zones défrichées sur les versants les mieux orientés sont les domaines des plantations de thé et d’agrumes, tandis que les bassins marécageux, comme la dépression du Rion au pied de la montagne, sont convertis en rizières.

Le Caucase central , plus élevé, concentre les neuf dixièmes des glaciers de la chaîne et présente les formes alpines les plus aiguës, crêtes et pyramides. Les glaciers de vallées, transversaux au nord, descendent jusqu’à 2 000 m, alors que les cirques s’ouvrant vers le sud ne retiennent en altitude que quelques appareils. Les précipitations diminuent en direction de l’est, et c’est dans cette zone de transition qu’est tracée la ligne de partage entre élevage à prépondérance bovine à l’ouest et transhumance ovine à l’est. Protégé par des passes très élevées, le versant sud résista longtemps à la conquête russe.

Le Caucase oriental commence à l’est de la route stratégique qui emprunte les cours supérieurs du Terek et de la Koura; il présente des reliefs plus bas, plus simples et plus secs. La zone axiale manque. Le flysch, composé de grés et de calcaires, est lourdement plissé, la glaciation n’a laissé que de faibles traces. Le trait dominant est celui des hauts plateaux karstiques coupés de canyons, aux hivers sans neige, couverts d’une forêt rabougrie, domaine des pasteurs qui ont contribué à sa dégradation. La zone du piémont du versant nord est envahie par une steppe boisée; au sud dominent des associations qui rappellent celles de Méditerranée orientale. Le pays de Daghestan, isolé par des gorges, peuplé de pasteurs parcourant les plateaux trop secs et restés farouches montagnards, caractérise bien les types de régions d’économie fermée de cette partie du Caucase.

Transformation de l’économie caucasienne

Des activités traditionnelles, seules les plus rentables ont été conservées et développées. L’exploitation de ressources nouvelles a commencé.

La transhumance reste l’activité essentielle des montagnes les plus arides, qui offrent pourtant en été plus de fraîcheur que les steppes de piémont; mais elle ne s’est maintenue, sous une forme collectivisée (kolkhoz groupant des centaines de familles et des troupeaux de dizaines de milliers de têtes), que dans le Centre et l’Est où l’on compte plus de 120 moutons pour 100 ha (il y a plus de 2 millions d’ovins dans la République d’Azerbaïdjan). Avec la disparition de l’habitat d’altitude – il n’y a plus guère de vie au-dessus de 2 000 m – les pratiques de transhumance se sont intensifiées grâce à la modernisation de gros villages permanents dans les vallées: les troupeaux viennent, en été, de la dépression de l’Azerbaïdjan, des bords de la Caspienne et des steppes de Nogaïsk au nord.

Les cultures de montagne se présentent sous la forme d’îlots réduits: petite irrigation au fond des vallées, arbres fruitiers sur les pentes, cultures sèches de mil, d’orge et de blé. Sur les bas versants, dans les zones de piémont et les grandes vallées qui pénètrent la montagne, plus du cinquième des terres sont mises en culture selon deux techniques. Les systèmes de cultures non irriguées sont pratiqués sur le versant nord par d’immenses kolkhoz qui ont défriché les zones de steppe boisée, les cônes de déjection, les bassins; on a aménagé des bandes forestières de protection et on cultive surtout des céréales. En bordure des dépressions transcaucasiennes, les collines portent des vergers et des vignobles; les vallées les plus basses cultivent les céréales, les oléagineux, le tabac, les fourragères. Sur les flancs qui dominent la mer Noire, de vastes sovkhoz concentrent les cultures du thé (zone vers 300-400 m d’altitude), des citronniers, des plantes aromatiques et d’une plante oléagineuse peu cultivée dans le monde, à l’exception de la Chine, le tung .

Les systèmes de cultures irriguées reposent sur l’utilisation des eaux d’inondation des vallées inférieures – en particulier des affluents du Rion et des dépressions de la Koura – et sur la pratique locale, autour des villages et des bourgs, de techniques artisanales, ainsi que sur l’utilisation des ressources fournies par les barrages de la montagne. Ces systèmes s’appliquent à la culture du riz (vallée du Kouban, au nord, vallées du Rion), aux légumes d’eau et cultures maraîchères, qui forment des ceintures autour des villes, enfin et surtout aux fourrages dans les grands kolkhoz d’élevage.

La mise en valeur des ressources énergétiques de la haute montagne n’intéresse jusqu’à présent que le piémont. Les grands systèmes sont actuellement en fonction: Mingetchaur, en Azerbaïdjan, où un immense lac artificiel retient les eaux des rivières Alazani, Iouri et Koura qui descendent des plus hauts sommets du Caucase oriental; autour de Tbilissi, où plusieurs réservoirs retiennent des eaux utilisées pour l’irrigation, pour le ravitaillement de la capitale et du centre industriel de Roustavi; sur le Rion moyen, où un escalier de centrales alimente la basse vallée et le centre industriel de Toutais.

Les travaux sont moins avancés sur les versants nord dont les besoins sont moindres, en raison de la faible densité de population des plaines qui s’étendent à leurs pieds. Les fleuves Soulak et Terek (deux centrales près de la ville d’Ordjonikidze), qui se jettent dans la Caspienne, et le Kouban, tributaire de la mer d’Azov, sont exploités.

Il n’y a pas non plus d’exploitation minière importante dans la montagne elle-même. Des gisements de grandeur relativement médiocre sont exploités dans les basses vallées: un peu de charbon, sur le versant nord, à l’ouest de Nalchik et dans une des vallées caspiennes du Daghestan; sur les versants sud, en république de Géorgie, un gisement polymétallique au pied du Kazbek; surtout des gisements d’hydrocarbures qui, si l’on excepte celui de Bakou sur la Caspienne, sont localisés dans les bassins de subsidence (dépression du Kouban et de ses affluents sur le versant septentrional du Caucase occidental, centre de Groznyi, dans la vallée du Terek, gisements sublittoraux entre les ports de Derbent et Makhatchkala sur la Caspienne, qui assurent chacun des productions annuelles de plusieurs millions de tonnes).

Les pays transcaucasiens

Au-delà du Caucase se trouve un ensemble de régions fort mal connues, visitées par quelques Occidentaux seulement, sur lesquelles les études de géographie humaine et économique restent très rares et dont on ne possède pas de cartes à échelle suffisante pour en entreprendre une étude précise et sérieuse. Les monographies publiées en russe n’envisagent la géographie de ces régions que dans le cadre administratif des républiques qui les découpent (Géorgie, Azerbaïdjan et Arménie, chacune d’entre elles comportant des républiques ou territoires autonomes).

Il faut distinguer d’abord les dépressions transcaucasiennes, collines, piémonts, vallées, résultat d’affaissements entre la mer Noire et la mer Caspienne, formées d’une série de horsts et de grabens et partagées par le plateau de la Souram (900 m) en deux bassins hydrographiques bien individualisés par le climat et l’économie.

La partie occidentale appartient, en effet, au bassin versant de la mer Noire, drainé par le Rion et ses affluents: c’est la Géorgie des plaines, la plus fertile et la plus peuplée. Les affluents de la Koura dissèquent des collines formées dans les dépôts néogènes tendres. Sur les terrasses et les flancs de la montagne se concentre une population groupée en gros villages, centres de sovkhoz et de kolkhoz qui ont répandu la culture industrielle du thé et les cultures vivrières, oléagineux et maïs. La basse plaine du Rion représente un ancien golfe comblé, se terminant en limans et deltas où s’accroche, au sud, le port de Batoum. La Koura endiguée, les marais asséchés et assainis (la malaria sévissait au siècle dernier), à l’abri des bandes de protection formées d’eucalyptus, les cultures ont pu se développer, favorisées par des hivers relativement doux, des étés très chauds et surtout des précipitations abondantes: plus de 3 m par an. Descendue des montagnes, une population variée a colonisé ces terres.

La partie orientale se compose du bassin plus vaste de la Koura, réunissant, dans un entonnoir, à partir de Tbilissi, l’éventail des torrents descendus du Caucase central et oriental et des hauts plateaux volcaniques d’Arménie. Le climat devient beaucoup plus sec: le fond de la «fosse» de l’Azerbaïdjan ne reçoit pas 500 mm. La population se rassemble sur les bas plateaux et les collines du pays de Tbilissi, seule grande ville, née au carrefour des deux routes nord-sud et ouest-est, cœur de la Géorgie, ancien marché qui devient ville administrative et industrielle (textile d’abord, puis industrie métallurgique: fer et métaux non ferreux) et a été rénové par la proximité du combinat sidérurgique de Roustavi. La vieille ville marquée par l’Islam, s’entoure de quartiers neufs au dessin géométrique où s’entassent les montagnards attirés par les nouveaux emplois.

Vallée moyenne et basse vallée de la Koura sont couvertes de steppe: les cultures sèches forment des oasis au milieu de vastes étendues pastorales, fréquentées l’hiver par les bergers du Daghestan. Toute transformation passe donc par l’irrigation. La construction du barrage-réservoir de Mingetchaur a permis le développement, qui est loin d’être parvenu à son terme, d’un périmètre d’irrigation: au coton s’associent les oléagineux comme le sésame et le tournesol, les plantes industrielles comme le tabac, les plantes fourragères permettant d’accroître l’élevage bovin; le vignoble enfin, destiné à satisfaire une consommation en augmentation constante, se développe. Le littoral caspien est formé par l’immense delta de la Koura qui progresse vers le sud et gêne l’implantation de ports. Une région sublittorale originale est formée au sud par le Lenkoran, favorisé par des précipitations plus abondantes, des hivers généralement doux, où la végétation naturelle se compose d’essences endémiques, avec sous-bois denses, et dont les vastes clairières sont le domaine du riz et du thé.

Ainsi, la montagne caucasienne se dépeuple au-dessous de 1 000 m au profit des bassins: il ne resterait que quelques centaines de milliers de pasteurs transhumants. La sédentarisation s’opère dans les zones d’irrigation, autour des ports (Bakou, Batoum et les centres balnéaires de la mer Noire), autour des centres miniers.

Les pays arméniens restent peuplés, au moins dans les zones de cultures et de ressources. Le relief se compose encore de quelques chaînes plissées dans des formations secondaires, mais de style plus lourd: l’action de phases de pénéplanation, les effondrements qui les affectent ont empâté les formes. Les épanchements volcaniques y atteignent des dimensions énormes: vastes coulées d’Arménie orientale recouvrant près de la moitié de la superficie de la république et chaînes de cônes dominant le bassin du fleuve Araxe révèlent l’action volcanique du Néogène et du Quaternaire. Enfin, les bassins profonds, enfoncés dans la masse montagneuse, les uns remplis par les eaux (lac Sevan), les autres remblayés de dépôts récents (Leninakan et surtout Erevan) contribuent à découper en grandes masses un relief qui évoque celui des hauts plateaux d’Asie Mineure. La glaciation y a laissé des marques: les appareils glaciaires descendaient, lors de la dernière phase, jusqu’à 2 000 m. Une belle végétation étagée couvre les pentes jusqu’à 2 500 à 3 000 m, mais la forêt est localisée sur les versants les plus arrosés: de la zone steppique, comprise entre 1 200 et 2 000 m, on passe à la prairie et à la pelouse, ponctuée d’îlots xérophytiques. De vastes étendues sont encore parcourues par des pasteurs transhumants. L’irrigation de type traditionnel a permis le développement de l’agriculture au fond des bassins de l’Araxe. On se propose d’utiliser les eaux du lac Sevan pour l’irrigation de centaines de milliers d’hectares, mais la rigueur des hivers interdit ici, à l’exception du coton, les plantes trop fragiles. Les villes, entourées de banlieues maraîchères et de vergers, rénovées par l’implantation de combinats textiles, animées par des industries de métaux non ferreux, cuivre, plomb et zinc, concentrent sans doute plus de la moitié de la population: sur trois millions d’habitants, plus d’un million vivent à Erevan, la capitale, et à Kirovakan.

Il est difficile d’évaluer, en termes numériques, l’importance exacte de ces régions méridionales en ce qui concerne la population et l’économie. Elles rassemblent plus de 16 millions d’habitants (Géorgie, 5,5; Azerbaïdjan, 7,4; Arménie, 3,5, auxquels il faut ajouter la population de la fédération de Russie qui s’étend au sud jusqu’au Caucase). Le contraste entre les grosses agglomérations, villes nouvelles et villes-champignons, rappelle celui qui existe dans les pays neufs de Sibérie et d’Asie centrale: Bakou et Tbilissi dépassent chacun le million d’habitants. Les excédents naturels, pourtant en recul, restent très élevés: plus de 30 p. 1 000. Le bariolage et par conséquent l’amalgame des populations en font un creuset d’où sortira une génération nouvelle. Sur le plan économique, surtout agricole, c’est en million d’hectares irrigués qu’il faudra évaluer les progrès réalisés: comme l’Asie centrale, ces régions ravitaillent déjà en vin, en fruits tropicaux, en textiles les zones plus peuplées, et au niveau de vie plus élevé, de l’Ukraine et de la Russie centrale. Les chiffres de production minière, si l’on excepte le pétrole, sont peu significatifs, comparés à ceux de l’Oural ou de l’Ukraine: 700 000 tonnes de houille en Géorgie, 500 000 tonnes de manganèse (mais les réserves sont importantes) à Tchiatoura, aussi en Géorgie; du cuivre en Arménie, à Allaverdy.

Mais les prospections sont loin d’être achevées et la transformation sur place des minerais offre l’avantage de créer de nombreux emplois pour la main-d’œuvre rurale en excédent. Enfin, la production d’énergie hydro-électrique, qu’on peut chiffrer aux environs de 10 à 15 milliards de kW, peut encore s’accroître sans pour autant approcher du potentiel des grands fleuves sibériens. L’émigration traditionnelle vers la Russie se poursuit en prenant des aspects nouveaux: il ne s’agit plus seulement d’une main-d’œuvre minière et industrielle, mais aussi de cadres et d’intellectuels d’Arménie et de Géorgie qui s’établissent à Moscou et à Leningrad.

3. Les ethnies

Le Caucase abrite une des plus étonnantes mosaïques du vieux continent. Beaucoup étaient déjà à pied d’œuvre lors des premiers témoignages des auteurs antiques; d’autres, un peu plus tard, vinrent s’y agréger, repoussés par les grandes masses humaines refluant du Nord; d’autres enfin, avant-garde ou retardataires de plus vastes migrations, détachés du flot des envahisseurs, se fixèrent sur les versants de la grande chaîne centrale. Tous, tôt ou tard, se sont retrouvés naturalisés Caucasiens en peu de générations, effet d’un curieux pouvoir du décor et des hommes du lieu. Comme pour leurs langues, tout aussi nombreuses, les Caucasiens, malgré leurs différences et leurs inimitiés, se sont façonné des civilisations certes variées, mais qui se révèlent appartenir au même type dès qu’on les compare à ce qui n’est pas le Caucase.

Divisions politiques

Avant l’éclatement de l’Union en 1991, plus du quart des entités nationales soviétiques étaient concentrées au Caucase: 14 sur 52 que comptait l’U.R.S.S., en tout plus de 23 millions d’habitants. Trois républiques fédérées: Arménie (3 354 000 hab.), Azerbaïdjan (7 174 000 hab.), Géorgie (5 471 000 hab.). Neuf républiques autonomes, dont une rattachée à l’Azerbaïdjan: le Nakhitchevan (300 000 hab.); deux à la Géorgie: l’Abkhazie (538 000 hab.), l’Adjarie (382 000 hab.); six à la Russie: le Daghestan (1 823 000 hab.), la Kabardino-Balkarie (768 000 hab.), l’Ossétie du Nord (638 000 hab.), la Tchétchéno-Ingouchie (1 290 000 hab.), celle des Adyghés (436 000 hab.), celle des Karatchaïs-Tcherkesses (422 000 hab.). Deux régions autonomes, dont une rattachée à l’Azerbaïdjan: le Haut-Karabakh (192 000 hab.); une à la Géorgie: l’Ossétie du Sud (99 000 hab.).

Cet assemblage de peuples, sauf pour les plus grandes unités, ne correspond à aucune réalité historique. Il fut le fruit de la combinaison de trois facteurs: les dépeçages de type colonial opérés par l’Empire russe; ceux pratiqués à son tour par l’Union soviétique en formation; enfin, les manipulations, déplacements et massacres de populations dus aux conquêtes tsaristes du XIXe siècle et aux soubresauts de la politique soviétique depuis les années quarante. Par exemple, l’Ossétie est rattachée pour les deux tiers à la Russie, pour un tiers à la Géorgie. Le Haut-Karabakh, peuplé de 80 p. 100 d’Arméniens, dépend de l’Azerbaïdjan, ce qui a conduit aux drames que l’on connaît. Une importante fraction des Tchétchènes-Ingouches, déportés massivement en 1944, vit encore au Kazakhstan, de même que nombre de Karatchaïs et de Balkars, victimes du même sort. L’histoire réelle du Caucase avait tracé un tout autre espace, bouleversé et défiguré entre 1801 et 1953.

Repères historiques

Les peuples indigènes

Le peuplement du Caucase s’est maintenu pratiquement sans interruption depuis le Chelléen, où l’on trouve déjà trace d’activité humaine. Cette occupation se poursuit et s’étend tout au long de la préhistoire, avec une extension en croissance constante au cours des trois-centième et deux-centième millénaires, témoignant d’une particulière intensité de l’époque moustérienne jusqu’au Néolithique, dans toutes les zones du Caucase, montagne comprise. Plus proches, entre les quatrième et premier millénaire, quatre grandes et assez brillantes cultures ont laissé de considérables vestiges: celle de Maïkop-Koban, au Caucase septentrional, entre le Kouban et le Térek; celle du Mt’kwar-Araks (ou Koura-Araxe), sur le territoire de la Géorgie du Sud-Est et de l’Arménie du Nord-Est; celle de Colchide, Caucase du Sud-Ouest, de l’Abkhazie au Lazistan; celle, enfin, de Trialeti, en Géorgie centrale et méridionale. Ces civilisations riches et déjà raffinées restent anonymes: on ignore, en l’absence de toute écriture, qui en étaient les créateurs, les porteurs, les usagers. Il n’est pas certain qu’elles puissent être revendiquées, comme c’est généralement le cas, par les peuples «indigènes» du Caucase, expression désignant en fait les premiers arrivés, par rapport aux plus tard venus, tels les Arméniens, les Ossètes, les Turcs, etc. Si l’on connaît avec précision les dates d’arrivée de tous ces derniers, on ignore en revanche celle des premiers. On sait seulement qu’ils étaient là avant l’ère chrétienne, grâce aux témoignages, échelonnés sur dix siècles, des auteurs grecs et latins.

Les peuples du Nord-Ouest, Tcherkesses, Abkhazes et Oubykhs, occupaient, dès l’Antiquité, une vaste zone depuis le littoral de la mer Noire et la Crimée jusqu’au Térek, et des fleuves Kouban et Kouma à la chaîne du Caucase. Ceux du Nord-Est – depuis le Térek jusqu’au Caucase et à la Caspienne. Les Caucasiens du Sud, Géorgiens, Svanes et Mingréliens, sont là depuis plus longtemps, probablement dès avant le premier millénaire ou du moins à son tout début, sur un territoire correspondant en gros aux actuelles limites de la Géorgie. Le royaume d’Ourartou, dont la puissance se développe du XIIIe au IXe siècle avant l’ère chrétienne, fut anéanti au VIIIe siècle par les Scythes et quelques autres nomades, laissant ainsi un espace aux conquérants arméniens, qui s’y installèrent vers le VIIe-VIe siècle. À la fin du premier millénaire, quatre royaumes importants s’étaient formés au sud de la chaîne: la Colchide à l’ouest, où les Argonautes sont censés avoir ravi la Toison d’or, avec pour capitale Kutaia (actuellement Koutaïs); l’Ibérie, dans les limites de la Géorgie centrale et méridionale, mais beaucoup plus au sud qu’aujourd’hui, jusqu’à Kars (capitale Mtskheta); l’Arménie, depuis le lac de Van jusqu’au-delà du lac de Sevan (capitale Artachart, puis Dwin, enfin Erevan); l’Albanie – qui n’a rien à voir avec celle des Balkans –, à peu près le territoire de l’actuel Azerbaïdjan, avec en plus le sud du Daghestan et une partie de la Géorgie orientale (capitale Kabala, puis Partav). La langue des deux premiers était le géorgien, à l’époque indifférencié (la langue des Svanes était déjà séparée et très différenciée; ils constituaient à l’époque un royaume indépendant); en Albanie, on parlait aussi des langues caucasiques indigènes, mais relevant de la famille du Nord-Est; la langue arménienne est au contraire d’origine indo-européenne.

Après les invasions romaines et surtout perses, les quatre royaumes, sous l’influence grandissante de Byzance et des prosélytes syriens, adoptent la religion chrétienne au cours du IVe siècle, événement décisif dans l’histoire du Caucase. L’Ibérie, l’Arménie et l’Albanie se dotèrent chacune d’un alphabet propre, remarquablement adapté aux sons de leur langue respective. En Albanie, où se parlaient 26 langues (on en parle 26 aujourd’hui encore sur le même territoire!), ce fut l’oudi qui servit de base à la langue officielle. La littérature albanaise est perdue, et le royaume lui-même disparut au VIIIe siècle; il n’en reste plus que quelques œuvres d’art, des inscriptions lapidaires et trois villages où l’on parle encore oudi. L’Ibérie, devenue Géorgie, et l’Arménie ont connu au contraire une longue histoire, traversée par bien des guerres, heureuses et plus souvent malheureuses, marquée par des périodes d’occupation étrangère, mais aussi de redressement et d’éclat, jusqu’à l’annexion par la Russie, au début du XIXe siècle, et enfin la soviétisation, après trois ans d’indépendance de 1918 à 1921. Leurs civilisations, souvent brillantes, n’ont cessé, durant quinze siècles, de se nuancer sous l’influence alternée de l’Occident et l’Orient.

Les peuples non indigènes

Les autres acteurs de l’histoire et de l’espace caucasiens y sont intervenus dès le début de l’ère chrétienne pour les uns, beaucoup plus tard pour d’autres, et au XVIIIe siècle pour les derniers, les Russes. Les Scythes et les Sarmates – des Iraniens qui n’ont jamais atteint l’Iran –, puis surtout leurs successeurs, les Alains, ont été repoussés vers les hautes vallées du Caucase septentrional, où ils se sont réfugiés, donnant naissance au peuple ossète, qui occupe un territoire au nord et au sud de la passe du Darial, entre Elbrouz et Kazbeg. Tout en gardant leur langue et plusieurs traits de leur ancienne culture, ils se sont faits caucasiens à part entière, adoptant coutumes et éthique des premiers occupants. Au début de l’ère chrétienne, ou même un peu avant, des juifs – venus de l’Empire perse, où ils se trouvaient depuis la déportation à Babylone –, se sont fixés les uns en Géorgie, adoptant la langue du cru, d’autres, les plus nombreux, au Daghestan, parlant une langue iranienne, le tat ; tous ont préservé leur religion judaïque. Beaucoup plus nombreux, les peuples tatars et turcs ont joué un grand rôle et tiennent encore une place importante dans tout le Caucase. Venus des steppes septentrionales, les Tatars se sont fixés au nord de la Grande Chaîne, les Karatchaïs et les Balkars à l’ouest, au milieu des Tcherkesses, les Nogaïs au centre, près des Tchétchènes, les Koumyks à l’est, au nord du Daghestan. Les Karatchaïs-Balkars ont dû se mêler aux nomades alains et autres dès le haut Moyen Âge; les Nogaïs sont des vestiges de la Horde d’or; les Koumyks sont les descendants, pour une part, des Kiptchagues (les Polovtses des chroniques russes). Au sud, des tribus turques envahissent, entre le Xe et le XIIIe siècle, ce qui avait été l’Albanie et substituent un peuplement et des langues altaïques à ceux des indigènes caucasiens. Les invasions se succèdent au sud-est du Caucase, faisant alterner les vagues iraniennes, mongoles et à nouveau turques. C’est finalement l’élément altaïque qui l’emporte, et les petits khanats autonomes finissent par être absorbés par l’Azerbaïdjan, de langue turque azerie et de religion musulmane chiite.

Et puis, à la fin du XVIIIe siècle, les Russes accentuent leur pression sur le Caucase, dont la partie méridionale succombe dès le début du XIXe siècle, tandis que les montagnards du Nord résistent pied à pied durant trente-cinq ans (1829-1864). Depuis l’Antiquité, les Tcherkesses et les Abkhazes occupaient les mêmes terres; ils en étaient restés les maîtres, sans être soumis à personne. De même, à l’est, les peuples indigènes du Daghestan vivaient toujours dans leurs montagnes inviolées. Tous, de la mer Noire à la Caspienne, s’étaient convertis à l’islam sunnite, les premiers depuis peu, les autres depuis quelques siècles. La guerre du Caucase, commencée en 1829, se poursuivit jusqu’en 1859 au Daghestan, date de la reddition de Cheikh Chamil, le chef avar de la résistance. À l’ouest, les Tcherkesses, les Abkhazes et les Oubykhs se battirent jusqu’à leur quasi-extermination. Des peuples entiers furent rayés de la carte, par massacre, déportation ou exil forcé en Turquie. Ces nations indomptables ont perdu près de la moitié de leur population au cours du siècle: le vide s’est fait pour recevoir les colons russes, ukrainiens et cosaques; et l’on ne reconnaissait les lieux où avaient vécu les Tcherkesses qu’aux cimetières couverts de pruniers sauvages et d’arbres entrelacés de vignes. La nation oubykh disparut entièrement. Près d’un demi-million de montagnards se réfugièrent en Turquie: leurs descendants y sont encore, par centaines de milliers, ayant gardé leur culture et souvent leur langue. L’occupation militaire russe fut accompagnée et suivie, au nord comme au sud, d’une implantation démographique puissante et continue, qui s’est longtemps poursuivie en U.R.S.S., nombre de petits peuples se retrouvant finalement minoritaires dans leur propre pays. À la fin du XIXe siècle, le Caucase tout entier n’était plus qu’un territoire de la Russie des tsars, divisé en «gouvernements, régions, districts», comme le reste de l’Empire – répartition qui n’avait plus rien de commun avec les réalités historiques, culturelles, nationales.

Typologie des sociétés traditionnelles

Les deux types les plus originaux, aux deux extrêmes de l’histoire, sont ceux de l’Ibérie antique (Géorgie centrale) et des montagnards géorgiens à l’est du Kazbek (jusqu’en 1960). La société ibère, vers l’an 20 après J.-C., comportait quatre «classes»: celle des rois, l’aîné du clan royal assumant le pouvoir politique, le cadet la justice et la guerre; la deuxième, celle des prêtres, chargés du sacerdoce, mais aussi des relations avec l’étranger; la troisième, celle des guerriers et paysans, la masse de la population. Enfin, celle des esclaves. Une telle organisation paraît unique en son genre; on n’en connaît pas d’autre exemple.

La société des montagnards géorgiens était elle-même une sorte de fossile vivant, en plein milieu du XXe siècle. Il n’y existait aucune hiérarchie, tout étant déterminé par les relations entre les clans patrilinéaires, sans distinction de statut social; la terre était propriété collective. Le pouvoir était aux mains du corps sacerdotal comprenant sacrificateurs, chamanes, devins itinérants, tous choisis par les dieux au cours d’une séance de possession; leurs fonctions n’étaient que provisoires, exercées par alternance. Il semble bien que cette société n’ait guère évolué depuis ce que nous en ont signalé quelques notations des Anciens. À part l’existence d’un corps sacerdotal, propre au Caucase méridional, c’est à ce type que devaient se rattacher les sociétés hiérarchisées du Caucase du Centre et du Nord-Est: survivances très nettes chez les Tchétchènes-Ingouches, plus estompées, mais certaines, chez les peuples du Daghestan fixés dans les hautes vallées, même pour des villages relevant apparemment du type «féodal islamique».

Les Caucasiens du Nord-Ouest étaient tout autrement organisés, selon un système commun aux Tcherkesses-Kabardes, Abkhazes-Abazas et Oubykhs, doué d’une remarquable stabilité à travers les âges. Il n’y a ni État ni pouvoir constitué, chaque communauté possédant sa propre hiérarchie nobiliaire sans interférence avec celle du voisin. Au sommet sont les princes, dont dépendent tous les autres, à commencer par les nobles, beaucoup plus nombreux. Les hommes dits «libres», ni nobles, ni esclaves, sont assujettis aux deux «classes» supérieures, et constituent la grande masse de la population. Enfin, les esclaves. Tous sont liés entre eux par des relations personnelles privées, comme dans la vassalité européenne; mais il n’y a pas à proprement parler de propriété foncière, donc pas de féodalité. Les forces productives sont représentées par les hommes «libres», les esclaves servant surtout de biens de prestige et d’unités de compte: l’esclave-monnaie, en quelque sorte. Depuis l’Antiquité jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, les princes régissaient le commerce extérieur, alimenté par les richesses que procurait chaque année le pillage, activité économique régulière. Régulateur externe, il assurait la cohésion sociale, maintenue d’autre part par la vendetta, régulateur interne. Les sociétés tatares du Caucase sont des variantes de ce type nobiliaire sans fief: Karatchaïs, Balkars, Nogaïs et Koumykhs ont une organisation fortement hiérarchisée, avec une aristocratie dirigeante, des nobles assujettis et des hommes «libres», en fait dépendants des précédents, enfin des esclaves. Toutefois, les liens de dépendance revêtaient des formes assez différentes de celles qui sont attestées au Caucase du Nord-Ouest. Au même type se rattachent encore les petites principautés du Daghestan, elles aussi organisées en quatre niveaux, avec, à la tête, un «prince» portant un titre différent selon les lieux: chamkhal de Tarki, khan des Avars, des Kazi-Koumyks (les Laks), des Kaytags (les Dargwas), outsmiy des Tabasarans, etc.

Les royaumes de Transcaucasie – l’Arménie surtout et, davantage encore, la Géorgie – représentent un autre type, évoquant par bien des traits, à travers de grandes différences, les féodalités de l’Europe médiévale. Comme dans l’Europe franque post-romaine, la rencontre des structures sociales traditionnelles, fondées sur les rapports de parenté, et d’un modèle d’État hiérarchisé, tels l’Iran et surtout Byzance, s’est conjuguée avec les débuts et le progrès du christianisme pour donner naissance à un système de liens personnels pouvant tenir lieu d’organisation d’État. Il s’est peu à peu combiné avec une monarchie fondée sur l’idée de souveraineté, idée neuve aux alentours de l’an mil. Par là s’explique la mise en place de royautés transcaucasiennes qui se sont à peu près maintenues – surtout en Géorgie – jusqu’à l’annexion russe, en dépit des assauts mongols, perses, turcs, etc. Ce type «para-féodal» fonctionnait encore à la fin du XIXe siècle, après soixante ans d’occupation russe et malgré une intense russification.

Droit, religions, cultures

Le droit caucasien se reconnaît à la réunion de quelques traits spécifiques. On les retrouve sur toute l’étendue du territoire et à toutes les époques, y compris, pour certaines régions, à l’époque contemporaine. La vengeance sanglante y tient la première place: tout préjudice doit être compensé soit par un meurtre, soit par le rachat du prix du sang. La plupart des codes juridiques, qu’ils soient coutumiers – chez les montagnards du Nord et du Sud – ou écrits – comme dans la Géorgie du XIIe au XVIIIe siècle –, traitent, pour l’essentiel, du montant et des modalités de la composition fixant le prix du sang selon la gravité du délit. Le serment, qui est pratiquement le seul moyen de preuve – le témoignage n’en constitue qu’une variété –, envahit l’ensemble du droit, même public. La prééminence du droit privé est quasi générale; il se substitue à toute autre catégorie juridique, y compris pour la justice officielle. Enfin, l’absence presque totale de peines et de châtiments est de fait une conséquence des traits précédents.

Le Caucase a connu et connaît encore trois types de religions: polythéisme, christianisme, islam. Les polythéismes, dont quelques pratiques et conceptions survivent encore dans plusieurs cantons montagneux, sont d’origines différentes, indigènes et indo-européennes. De la religion de la Géorgie antique, on ne sait rien ou presque; mais on connaît bien celle des montagnards géorgiens, préservée jusqu’au XXe siècle. Elle est dominée par le sacrifice sanglant, la possession extatique et l’inceste rituel. Sous un dieu suprême, créateur, de nombreuses divinités administrent le monde, chacune ne prenant vie et personnalité qu’à partir de la délimitation, sans cesse répétée, de son territoire par un prêtre en transes. La théologie des Tcherkesses, des Abkhazes et des Oubykhs concevait un dieu suprême unique dans sa multiplicité infinie, auquel étaient subordonnés de nombreux génies spécialisés dans ce qui regardait la chasse, l’élevage, l’orage, la forge. Le lieu du culte était la forge.

Les religions indo-européennes sont celles des Arméniens et des Ossètes. Le polythéisme arménien exprime de manière originale la structure trifonctionnelle propre aux théologies et aux mythologies indo-iraniennes, avec une grande triade divine: Aramazd, Anahit et Vahagn. L’histoire légendaire des origines se conforme elle aussi aux canons de la mythologie historicisée qu’on retrouve à Rome, chez les Celtes, les Scandinaves, les Iraniens, le système des trois fonctions se voyant projeté sur l’axe du passé. Les conceptions religieuses des Alains et des Ossètes se réalisent à travers un système trifonctionnel fortement structuré, avec, au sommet, un couple de divinités ayant des compétences magico-religieuse et juridique, suivi de deux génies guerriers complémentaires, dont l’un rappelle le féroce Arès scythique; enfin, plusieurs petits dieux patronnent les activités de production.

Les Géorgiens sont chrétiens depuis la première moitié du IVe siècle, ainsi que les Arméniens, mais ceux-ci ont adopté le monophysisme et refusé les conclusions du concile de Chalcédoine (451). L’islam est le fait des peuples turco-tatars: les Tatars, de rite sunnite; les Azeris, de rite chi‘ite. Il y a, en outre, 300 000 musulmans sunnites dans le sud-ouest de la Géorgie, les Adjars et les Meskhs, tous de langue géorgienne. Les peuples du Nord-Caucase sont musulmans, à l’exception des Ossètes, qui sont devenus en majorité chrétiens orthodoxes sous l’influence de Byzance, de la Géorgie puis de la Russie. Mais les Ossètes, comme les Caucasiens du Nord-Ouest, avaient gardé vivant leur polythéisme ancestral, qui ne disparut réellement qu’à la suite de la conquête russe et de la dispersion de 1864.

La littérature orale de ces peuples – Ossètes, Tcherkesses, Abkhazes, Oubykhs, Tchétchènes – célèbre en poèmes et en récits épiques les valeurs que partageaient la plupart d’entre eux. Les légendes sur les Nartes ont sans doute leur origine dans un noyau préhistorique indo-européen, mais elles sont devenues peu à peu le bien commun de tous les Caucasiens – Daghestan excepté. D’ailleurs, la plupart des peuples caucasiens se signalent par une inclination et un don certains pour la poésie sous toutes ses formes, notamment orales. Aujourd’hui encore, on doit à la littérature non écrite de remarquables créations, tant dans les trois républiques transcaucasiennes que chez les peuples du Nord-Caucase, indigènes, ossètes et tatars confondus. C’est là l’une des plus grandes richesses du Caucase de tous les temps.

L’Arménie et la Géorgie ont, en outre, chacune sa littérature écrite, constituée depuis quinze siècles, avec une alternance d’âges d’or souvent brillants et d’éclipses dues aux invasions mutilantes des Mongols et de quelques autres non moins destructrices.

Chez tous ces peuples, la musique traditionnelle tient depuis toujours une grande place, notamment en Géorgie, où reste vivante une très ancienne tradition polyphonique, sacrée et profane. Les arts ont connu des sorts très divers. L’Arménie et la Géorgie ont créé une architecture originale, avec une floraison d’églises témoignant d’une maîtrise achevée, mariant les influences balancées de Byzance et de l’Orient avec un bonheur remarquable – entre les Ve et XIIIe siècles. À la même époque et au-delà, le travail des ors repoussés et des émaux cloisonnés a produit des chefs-d’œuvre. L’artisanat atteint, dans nombre de régions, une perfection qui en fait davantage un art qu’une simple technique. Les plus réputées de ces créations restent les tapis, les armes et les bijoux du Daghestan – notamment grâce aux maîtres laks, dargwas et lezgis.

L’image du Caucase d’antan

L’image traditionnelle du Caucase nous est venue à travers les écrivains russes séduits par la civilisation de ces guerriers si difficiles à soumettre. Ce sont les peuples du Nord, Tcherkesses, Abkhazes et autres, qui, dans leurs conceptions, leurs manières et leur système de valeurs, ont mis en pratique cet idéal. Turbulence d’une jeunesse sans cesse à cheval, risques mortels dans la vie quotidienne du moindre village. Morale héroïque illustrée par de vieilles épopées enivrantes et soutenue par des chants de louange et de raillerie, mépris absolu de la mort élevé au rang de doctrine, inclination pour les actes sortant de l’ordinaire et les gestes paradoxaux. Sophistication de l’étiquette raffinée réglant les plus humbles conduites, mystères d’une société énigmatique et inclassable: généreuse et courtoise dans les rencontres entre les hommes, l’esprit chevaleresque faisant partie du patrimoine commun, mais sanglante et sans pitié dans la marche de ses rouages institutionnels. Où l’éducation du prince consistait à s’initier au pillage et où, pourtant, l’incessante poursuite d’un butin précieux s’accompagnait d’un total mépris des richesses. Car le prestige ne s’attachait ni à la fortune ni au luxe, mais à la générosité des fêtes offertes, à la munificence de l’hospitalité et à l’énormité des festins, à la bravoure guerrière et à l’habileté de la parole, qui à elle seule faisait les grands hommes, ceux-ci mettant leur seule coquetterie dans la beauté des armes et des coursiers. Cet idéal se trouva assez exactement réalisé tant que le Caucase demeura un asile inviolé. Il n’en subsiste plus guère aujourd’hui que les chefs-d’œuvre de la littérature épique, quelques coutumes et aussi une certaine manière d’être.

4. Les langues caucasiques

Un grand nombre de langues concentrées sur un espace restreint, tel est toujours apparu le Caucase à ses observateurs, depuis l’Antiquité jusqu’à l’époque contemporaine: 70 langues parlées en Abkhazie selon Strabon (20 après J.-C.), 130 interprètes pour les Romains, au même endroit, d’après Pline; et le géographe arabe du Xe siècle, Mas’udi, appelait le Caucase «la montagne des langues». On y parle encore une cinquantaine de langues. Par convention, on distingue: «les langues du Caucase», parlées par des groupes importants et permanents, mais pratiquées aussi ailleurs, dans les communautés grecques ou kurdes, par exemple; «les langues caucasiennes», parlées par des populations vivant en totalité ou en majorité au Caucase, mais apparentées à des familles linguistiques représentées également ailleurs (c’est le cas de l’arménien et de l’ossète, d’origine indo-européenne, ou des nombreuses langues tatares, rattachées au turc); enfin, «les langues caucasiques», les seules dont il sera question ici: elles ne sont parlées nulle part ailleurs et ne se laissent rattacher à aucune famille connue dans le monde. On les appelle aussi «langues indigènes du Caucase». Elles sont au nombre de 38, avec plusieurs centaines de dialectes, réparties entre quatre groupes bien distincts, dont il n’est pas toujours possible de démontrer à coup sûr la parenté.

Données géographiques et numériques

La plupart sont situées au nord de la chaîne du Caucase, entre la mer Noire et la Caspienne, et on pouvait distinguer, à la fin des années quatre-vingt:

Groupe caucasique du Nord-Ouest (C.N.O.), 5 langues: 1. Abkhaze (80 000), en république autonome d’Abkhazie, sur le territoire de la Géorgie (bien qu’au sud de la chaîne, se rattache linguistiquement et culturellement au C.N.O.). 2. Abaza (30 000), en région autonome Karatchaï-Tcherkesse. 3. Oubykh (0 en U.R.S.S., 8 en Turquie), qui n’est plus parlé que par quelques hommes âgés près de Manyas en Turquie. 4. Adyghe , ou tcherkesse occidental (100 000), en isolats répartis entre les régions autonomes Adyghe et Karatchaï-Tcherkesse. 5. Kabarde , ou tcherkesse oriental (340 000), en république autonome Kabarde-Balkar.

Groupe caucasique du Nord-Centre (C.N.C.), 3 langues: 1. Tchétchène (756 000), république autonome Tchétchène-Ingouche. 2. Ingouche (186 000), même localisation. 3. Batsbi (3 700), au nord-est de la Géorgie.

Groupe caucasique du Nord-Est (C.N.E.), 26 langues, réparties en 3 ensembles, toutes parlées en république autonome du Daghestan, sauf quatre.

– Ensemble avar-andi-dido, 14 langues: 1. Avar (483 000), avec des dizaines de dialectes souvent très différents les uns des autres et formant à eux seuls le sous-ensemble avar. Sous-ensemble andi , 8 langues: 1. Andi (10 000). 2. Botlikh (3 200). 3. Godoberi (2 600). 4. K’arat’a (5 200). 5. Akhvakh (5 200). 6. Bagwalal (4 000). 7. T’indi (5 000). 8. Tchamalal (4 000). Sous-ensemble dido, ou tsez, 5 langues: 1. Dido (7 500). 2. Khwarchi (1 200). 3. Hinoukh (250). 4. Bejit’ (2 700). 5. Hounzib (700).

– Ensemble lak-dargwa, 2 langues, très nombreux dialectes fortement différenciés: 1. Lak (100 000). 2. Dargwa (287 000).

– Ensemble lezgi, 10 langues: 1. Artchi (900), isolé de son ensemble et enclavé dans le domaine avar, au contact avec le lak. 2. Lezgi (387 000), dont une partie en Azerbaïdjan. 3. Tabasaran (75 000). 4. Aghoul (12 000). 5. Routoul (15 000). 6. Tsakhour (14 000). 7. Boudoukh (1 000). 8. Khinaloug (1 000). 9. Kryts (900). 10. Oudi (3 800). Les quatre dernières sont parlées en Azerbaïdjan; la dernière, l’oudi, l’est aussi dans un village de Géorgie.

Groupe caucasique du Sud (C.S.), 4 langues: 1. Géorgien (3 600 000), presque exclusivement en république fédérée de Géorgie. 2. Svane (48 000), au nord de la Géorgie. 3. Mingrélien (380 0000), en Géorgie de l’ouest. 4. Laze (50 000), dans de petits isolats dispersés au sud-ouest de la Géorgie.

Les chiffres ci-dessus restent approximatifs. Les langues indigènes du Caucase, dans leur ensemble, comptent plus de six millions de locuteurs dans les frontières de l’ex-U.R.S.S. Il faut y ajouter nombre d’entre elles qui sont parlées en Turquie et sur le territoire de l’Empire ottoman. Les chiffres sont tout à fait incertains; on ne peut risquer que des estimations. Tcherkesses et Kabardes: plus de 100 000 locuteurs en Turquie, en Jordanie et en Irak. Abkhazes et Abazas: 50 000 environ, surtout en Turquie. Oubykhs: 8 en Turquie (ce sera une langue morte avant l’an 2000). Tchétchènes et Ingouches: quelques milliers en Turquie et en Irak. Pour le Daghestan, l’avar, le dargwa, le lak et le lezgi sont parlés par quelques dizaines de milliers de personnes en Turquie. Les langues C.S. sont bien représentées en Turquie: plus de 100 000 Géorgiens, plusieurs milliers de Mingréliens, mais surtout la presque totalité des Lazes, dont le territoire en entier se situe dans le nord-est de la Turquie: plus de 100 000.

Écriture et notation

Parmi les 38 langues caucasiques, le géorgien est la seule à posséder son alphabet propre et sa littérature écrite, depuis le début du Ve siècle (les premiers textes, des inscriptions lapidaires, datent de la première moitié du Ve s.). Les autres langues sont toutes dépourvues d’écriture. Onze d’entre elles ont été dotées d’un alphabet propre, à partir des caractères cyrilliques. Ces alphabets ont été conçus et officialisés entre 1918 et 1932, et souvent modifiés par la suite, selon les variations de la politique linguistique et culturelle de l’U.R.S.S. Seul l’oudi, actuellement parlé par 3 800 personnes en Azerbaïdjan, avait un alphabet, qui fut élaboré au début du Ve siècle, sans doute parallèlement à celui des Géorgiens: c’était celui de l’albanais, dont il est le descendant direct. L’écriture et la littérature albanaises disparurent avec le royaume, et il n’en subsiste plus aujourd’hui que l’alphabet, retrouvé avant la Seconde Guerre mondiale, et quelques inscriptions.

Phonétique

Les langues caucasiques sont connues pour leur richesse exceptionnelle en phonèmes (c’est-à-dire en sons qui diffèrent les uns des autres de manière fondamentale, et non par des nuances de prononciation): l’oubykh en a 82, l’abkhaze 67, les langues du Daghestan de 40 à 50; même les moins pourvues, celles du Sud, comme le géorgien ou le laze, en ont plus de 30. Remarquable est également la dissymétrie entre le nombre des consonnes et celui des voyelles, particulièrement accentuée en C.N.O.: oubykh 2 V/80 C, abaza 2 V/76 C, abkhaze 2 V/58 C, tcherkesse 2 V/51 C, etc. On notera que l’oubykh, avec ses 80 consonnes, est sans doute le champion du monde en la matière. Les langues du Daghestan s’opposent sur ce point à celles de l’Ouest, avec des inventaires vocaliques beaucoup plus fournis: de 5 à 10 unités. Le tchétchène possède 15 voyelles et 15 diphtongues, contre une trentaine de consonnes. Les langues du Sud occupent, comme souvent, une position moyenne: 5 V/28 C en géorgien.

Il est fréquent de trouver des groupes de plusieurs consonnes produits en une seule émission de voix, notamment en oubykh (C.N.O.) et en géorgien (C.S.). Oubykh: stxq’a , «j’ai lu...» (4 consonnes); géorgien vgrgni , «je ronge...» (5 C), vbrdgvni , «je le plume» (7 C), ce qui n’est pas une rareté, car le géorgien a 740 groupes consonantiques initiaux (contre une quarantaine en anglais, par exemple), dont 148 à quatre termes, 21 à 5 termes, etc. Ce phénomène n’est pas répandu à l’Est; il caractérise les langues du C.N.O. et du C.S. (géorgien et svane seulement). En géorgien, il ne peut y avoir que des suites ou «complexes» de structure déterminée: occlusive + occlusive ou fricative; sonores + sonores ou sourdes + sourdes; antérieures + postérieures. Les rares groupes du tchétchène et de l’ingouche (20 groupes possibles) obéissent aux mêmes règles.

Le trait phonétique le plus original, et qui caractérise toutes les langues caucasiques (sauf, à notre connaissance, un dialecte laze et un dialacte ingouche de Turquie), est l’existence d’une triade de consonnes occlusives: sonores, sourdes aspirées et sourdes glottalisées (ou simplement à occlusion glottale). On n’a pas seulement, comme en français, b sonore opposé à p sourd, mais aussi p ’, opposé aux deux précédents. Cela vaut également pour les consonnes affriquées, comme dz , ts et ts ’. Il existe même, en tcherkesse et kabarde, des fricatives glottalisées, comme f’ ou face="EU Updot" 浪 ’. Les langues du Nord-Centre et surtout du Nord-Est y ajoutent une autre possibilité, l’allongement, l’intensification ou la gémination des occlusives et des fricatives; on a par exemple en avar, à côté de la triade dz , ts , ts ’, les deux sourdes «intenses» ou «fortes» tsts et ts’ts’ ; ou encore, dans les fricatives (cette fois sans glottalisation): z , s , ss . Autre trait spécifique, limité au tcherkesse en C.N.O., mais fréquent au Daghestan: l’existence de consonnes latérales fricatives et affriquées, qui sont réalisées en laissant passer l’air seulement sur un côté de la langue (de 3 ou 4 en avar à 5 dans les langues andi). D’autres articulations peuvent s’ajouter, notamment la labialisation, la palatalisation et la pharyngalisation. En oubykh, la pharyngalisation peut se combiner avec la labialisation dans la zone uvulaire. L’oubykh se singularise par la présence de quatorze consonnes pharyngalisées (la racine de la langue se masse vers la luette et le pharynx).

Morphologie

Le monde des formes grammaticales est d’une richesse et d’une diversité peu communes, qu’il s’agisse du nom ou du verbe. Par exemple: en avar, la déclinaison complète des pronoms démonstratifs comporte 1 229 formes, produites à partir de sept unités lexicales de base auxquelles sont appliqués trois mécanismes élémentaires; en artchi, plus d’un million de formes différentes peuvent être dérivées d’une racine verbale simple.

Le nom

Il est le plus souvent soumis à la flexion, avec un nombre de cas variant de deux à plusieurs dizaines. Les langues du N.O. sont à cet égard moins riches: l’abkhaze et l’abaza ont perdu la déclinaison, le tcherkesse et l’oubykh n’ont que deux cas: le cas «direct», sans désinence, et le cas «oblique», marqué par un suffixe. En C.S., il y a de cinq à sept cas, plus des post-positions locales. C’est en C.N.E. que les formes casuelles se multiplient, pouvant aller jusqu’à la quarantaine, notamment avec un système de cas locaux extrêmement développé: 28 cas en avar-anti-dido, 49 en tabasaran (ensemble lezgi). En général, au Daghestan, les variations casuelles s’expriment au moyen d’une suffixation de type agglutinant ou d’une flexion interne de la racine nominale, ou encore des deux à la fois. Exemple en avar: bet’er («la tête»), bot’r-o-da («sur la tête»). Le trait le plus spécifique des langues caucasiques (avec la glottalisation dans le domaine phonétique) est l’existence d’un cas nommé «ergatif», qui a pour fonction de marquer le sujet (l’agent) des verbes transitifs. Avec des moyens divers (suffixe spécial ou emprunté à un autre cas), il est attesté partout, sauf en abkhaze, qui n’a plus de flexion nominale.

Une autre caractéristique oppose l’ensemble des langues du Sud et du Nord-Ouest à celles du Nord-Centre et du Nord-Est. Les premières, sauf l’abkhaze, ignorent la catégorie des «classes nominales», qui règlent au contraire le fonctionnement de toutes les autres, à l’exception du lezgi, qui a perdu ce mécanisme. Donc, pour 28 langues (plus l’abkhaze), tous les êtres que comporte l’univers tel que le dénombre et le conçoit un groupe humain se répartissent entre plusieurs classes, de 2 à 8 (du moins au Caucase). L’appartenance à une classe est marquée par un indice matériel affixé et/ou infixé à un déterminant ou à un verbe s’accordant avec le nom. Dans les systèmes à trois classes, la première comporte les humains masculins, la deuxième les humains féminins, la troisième tout le reste. Dans les systèmes à plus de trois classes, les non-humains (animaux, choses, abstractions, etc.) se répartissent entre les classes III, IV, V, etc. selon des principes qui ne se laissent plus déceler. En ingouche, 5 classes, on distingue, outre le «masculin» et le «féminin», 3 classes de «neutres»: ‘aj khoz bu , «la pomme (classe III, préfixe b - au verbe «est» -u ) belle est»; gaour khoz yu , «le cheval (classe IV, préfixe y -) beau est»; ts’ khoz du , «la maison (classe V, préfixe d -) belle est».

Le verbe

Les langues de l’ouest s’opposent ici encore à celles de l’est. C’est en C.N.O. que la matière et les structures verbales sont le plus complexes, ainsi qu’en C.S., dans une moindre mesure. Le verbe y est pluripersonnel, exprimant par un indice matériel spécifique non seulement la «personne» du sujet, comme en français, mais aussi celle(s) du (ou des) compléments. Tandis que, par exemple, en français, dans la phrase: «le père leur (= par eux) fit faire une maison pour sa fille», seul le sujet est rappelé par le suffixe verbal -t («fi-t») –, en abkhaze, on énonce d’abord, indépendamment du verbe, les noms et pronoms: «le père sa fille eux une maison...», puis la forme verbale, où chacun de ces participants est repris: y-l-z’d-y-r-q’ac’ a-yt’ , «la-elle-pour-eux-il-factitif-faire-passé» («elle-pour» = «pour elle»). Les autres langues C.N.O., ainsi que les quatre langues C.S. (géorgien, svane, etc.) relèvent du même type pluripersonnel. À quoi il faut ajouter le bats (C.N.C.) et l’oudi (C.N.E.).

Au contraire, la plupart des langues du Daghestan, ainsi que le tchétchène et l’ingouche, ont une conjugaison dominée par le système des classes nominales: dans la forme verbale, seule l’appartenance à une classe nominale est marquée par un indice, qui renvoie au sujet pour les verbes à un seul participant, à l’objet direct («patient») pour les verbes à deux participants. En avar: roqb-u ム-ana , «la maison (neutre) a brûlé», avec le b - de classe III neutre renvoyant au sujet; bo-cca b-u ム-ana roq ’, «la troupe (avec le suffixe de l’ergatif, agent) a brûlé la maison», le b - de classe III renvoyant cette fois à l’objet direct. En C.N.E., donc, les participants nominaux sont porteurs du maximum d’informations sur le rôle syntaxique de chacun, alors que le verbe en comporte le minimum.

Plusieurs langues combinent les deux systèmes, donnant ainsi lieu à des conjugaisons d’une richesse inégalée – et surprenantes pour un Européen. Ainsi procèdent l’abkhaze, en C.N.O., le bats, en C.N.C.; et, en C.N.E., le lak, le dargwa, le tabasaran. Exemple en tabasaran: izu b-insu-za djaq’a , «j’ai attrapé l’oiseau», avec b - renvoyant à la classe neutre, «oiseau», objet direct, le suffixe -za renvoyant à «je», sujet (izu ): le verbe marque la personne du sujet et la classe de l’objet. Deux langues n’ont ni personne ni classe: le lezgi et l’aghul.

Syntaxe

Le fondement de la syntaxe est la construction ou structure ergative, commune à toutes les langues caucasiques. On en a vu des éléments essentiels: l’existence d’un «cas» ergatif (mais il y a des syntaxes ergatives sans cas spécifique ou même sans cas du tout, comme en abkhaze) et l’accord du verbe avec son objet direct (qui ne suffit pas non plus: le géorgien, par exemple, s’en passe). Dans les langues à construction «accusative» (ou «nominative»), comme en français, en latin, en allemand, etc., le sujet du verbe à un seul participant et celui du verbe à deux participants ont la même forme, et c’est l’objet direct qui s’en différencie: dans «il vint», «il » est le même que «il » dans «il le vit»; en géorgien, les mêmes phrases s’organisent autrement; is movida et man is nakha , où is , sujet de movida («il vint»), a la même forme que is , objet direct de nakhavit»), alors que le sujet de ce verbe prend une forme spéciale man , ergatif du pronom personnel: dans la structure ergative, le sujet du verbe à un participant a la même forme que l’objet direct du verbe à deux participants, dont le sujet, ou agent, reçoit lui-même une marque spécifique. En C.S., le géorgien et le svane combinent les constructions ergative et accusative, la première ne s’employant qu’au passé des verbes à deux participants.

Une autre structure caractérise la plupart des langues caucasiques (sauf le C.N.O., où elle reste limitée), c’est la construction «affective» ou «indirecte»: au lieu de dire, comme en français, «je t’aime», on dit, en géorgien par exemple, «tu es objet d’amour pour moi, tu m’es aimable»; et il en va de même pour tous les verbes de sentiment, de connaissance, de pensée. En C.N.C. et en C.N.E., où cette structure est beaucoup plus développée, elle s’étend en outre à des verbes comme «voir», «trouver», «entendre», etc. En avar, on dit tsi b-ixx.ana dida , «l’ours fut visible (avec b - classe III renvoyant à «l’ours» neutre) sur moi», «je vis l’ours».

Dans les langues C.N.O., toutes les relations syntaxiques sont concentrées dans la forme verbale, y compris la coordination et la subordination entre phrases: les conjonctions s’expriment au moyen d’infixes verbaux, la relation est réalisée par modification des formes verbales et infixation ou préfixation au verbe d’indices relatifs. En abkhaze, d-n-tsa (il-quand-venir), «quand il vint», l’indice -n - signifiant «quand» marque aussi le passé; y-z-d’r-wa pho’sba (le-qui-connaître-participe jeune fille), «(la) jeune fille qui le connaît»: tout est dans le verbe. Les langues C.S., géorgien et svane surtout, utilisent au contraire des mots indépendants pour signifier les rapports syntaxiques, conjonctions, relatifs, etc., comme dans les langues indo-européennes. Le C.N.E. occupe une position intermédiaire, combinant les deux procédés. Il existe aussi une autre méthode, que connaissent et pratiquent toutes les langues caucasiques, sauf le géorgien et le svane: la subordination s’effectue en déclinant comme un nom une phrase tout entière. Ainsi en laze, bere mokhtu («le garçon vint») se décline au datif -s , régi par la post-position -tey : bere mokhtu-s-tey , «comme le garçon vint».

Parenté interne et externe

Ces problèmes sont l’objet de débats où l’intime conviction tient trop souvent lieu de preuve scientifique. Nous nous en tenons ici aux faits absolument certains, scientifiquement indiscutables. Quant à la parenté entre les langues caucasiques elles-mêmes, une certitude: rien ne permet d’affirmer la moindre parenté entre les langues du Nord et celles du Sud. On ne voit pas ce qui rapproche, par exemple, l’abkhaze (C.N.O.) du géorgien (C.S.), bien qu’ils soient parlés sur le même territoire. En revanche, l’existence d’une authentique «famille» C.S. est d’ores et déjà démontrée. Il est sûr aussi que les langues du C.N.O. sont apparentées entre elles, comme le sont, de leur côté, celles du C.N.C. et celles du C.N.E. Voilà donc deux «familles» au nord de la chaîne: il n’est pas impossible qu’elles soient de même origine, mais les faits de convergence sont insuffisamment structurés; ils peuvent tout aussi bien s’expliquer par une longue cohabitation. C’est d’ailleurs là que le Caucase est passionnant: les langues comme les cultures y ont un «air de famille», qui pourtant ne met pas en cause leur indépendance et leur originalité respectives.

Les rapprochements tentés entre les langues caucasiques et d’autres ensembles attestés dans le monde se heurtent à une incertitude plus grande encore. Il semble y avoir des convergences entre la syntaxe C.N.O. et celle du basque, ainsi qu’entre le lexique géorgien (C.S.) et celui du basque, témoignant peut-être d’un long et très ancien voisinage: mais où, quand, comment? Beaucoup plus convaincants sont les travaux menés depuis les années 1970 sur la forte convergence typologique entre l’indo-européen commun et le caucasique du sud commun: ces similitudes structurelles organisées en séries sont trop précises et trop étendues pour s’expliquer autrement que par des contacts anciens et durables entre les deux groupes de peuples avant leur respective dissociation. Ces hypothèses sont confirmées par des comparaisons récentes établissant des rapports indéniables entre de nombreux mots grecs et le lexique du caucasien du Sud, surtout géorgien et lazo-mingrélien. Tout cela expliquerait bien l’originalité du C.S. en regard des langues du Nord, C.N.O. et C.N.E., ainsi que leurs disparités typologiques évidentes.

Caucase
chaîne de montagnes d'Asie occid., s'étendant de la mer Noire à la Caspienne sur 1 200 km de long; 5 642 m au mont Elbrouz (volcan éteint).
Au N., le Grand Caucase est une "chaîne barrière" (alt. moyenne 4 000 m), séparée du Petit Caucase, suite de massifs que fragmentent des bassins intérieurs. Le sous-sol est riche: manganèse, cuivre, pétrole surtout. Le Caucase du Nord comprend des républiques de la Fédération de Russie (d'Adyguée, du Daghestan, d'Ingouchie, de Kabardino-Balkarie, d'Ossétie du Nord, des Karatchaïs et des Tcherkesses, de Tchétchénie); au sud, le Caucase regroupe les trois rép. de Transcaucasie (Arménie, Azerbaïdjan, Géorgie). Cette grande diversité de peuples peut déboucher sur des conflits: en Abkhazie, Ossétie, Kabardino-Balkarie et dans le Haut-Karabakh. V. aussi Tchétchénie et Ingouchie.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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